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Petits portraits d’homophobes qui s’ignorent – 3) La Quadra cool

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Ça se passe avant le 15 août 2012. Peu de temps avant, à vrai dire.
C’est en juillet, ce sont les vacances, lors d’un stage de… peu importe (lisez yoga, cuisine ou tricot, comme il vous plaira), où soudain tu crains de t’être fourvoyée. Un stage d’une semaine, quinze personnes nourries-logées-blanchies sur place, et il va bien falloir s’entendre.

Dès le premier déjeuner, par hasard, vous vous trouvez à la même table, et ça se passe tellement bien que ça te rassure d’un coup sur le reste de la semaine. Elle a cette manière très maîtrisée de t’interroger sur ta vie professionnelle, ta formation, elle procède par cercles concentriques et en quelques minutes elle t’a placée au bon endroit, au moins sur ce terrain-là. Le tout avec le sourire. Il faut bien reconnaître que ça t’impressionne un peu.
D’autant qu’essayant d’inverser la partie, tu te heurtes de nouveau à sa virtuosité : elle détourne, esquive, sous-entend, et ne lâche que fort peu d’informations. Il te faudra la semaine pour détecter qu’elle est moins parisienne, moins cool, moins détachée des soucis financiers, et beaucoup moins cultivée qu’elle ne voudrait le paraître.

Au fil des conversations, maints sujets sont abordés, qui te la rendent à la fois plus sympathique, sympathique comme quelqu’un avec qui il est tellement facile de parler (ça reste quand même ton souci majeur de la semaine), et plus agaçante, peu à peu insupportablement agaçante.
Elle te parle, en vrac, de Communication non-violente et de Montessori, d’ateliers-théâtre pour adultes en pleine reconversion, de psychologie de bazar, de slam, de petit restos parisiens et de petites plages bretonnes, elle parle de tout ça à coups de jugements à l’emporte-pièce qui ne laissent jamais place à la nuance, elle veut juste avoir un avis sur tout et être la première à l’énoncer.
Il ne faut pas être trop sévère avec elle, non plus : quand elle t’interroge sur tes petits collégiens de Seine-Saint-Denis, elle n’évacue pas le sujet en deux mots, comme bien des gens à qui elle cherche à ressembler, écoute au contraire, trouve ce que tu lui expliques formidable (tu vas vite le comprendre, quelle que soit la chose ou la personne dont on lui parle, elle la trouve forcément extraordinaire – ou passionnante, ou étonnante). Mais après tout c’est pour une semaine, et la superficialité optimiste, c’est largement préférable à l’étroitesse d’esprit.

On peut même la sauver sur deux points. D’abord, elle a un fils dyspraxique, douze ans, qui ne sait pas écrire et ne saura sans doute jamais, dont elle vante bien sûr l’intelligence très vive, et déplore qu’il soit relégué dans des établissements pour attardés mentaux (sauf chez Montessori, justement) : notre société est vraiment une machine à détruire les différences, à te débouter si tu n’es pas dans la norme – tu entends là une souffrance de mère qui ne peut te laisser indifférente.
Et puis elle est venue faire ce stage avec une amie à elle, personnage beaucoup moins tonitruant mais ô combien adorable, qui lui sert, presque malgré toi, de caution. Car si cette incarnation de la générosité et de la bienveillance, toute en profondeur, en écoute, en empathie, incapable de poses et bourrée de petites tares qu’elle avoue en rougissant : trop de tabac, de cafés et de petits verres, et une délicieuse aptitude à la paresse – une incomparable aptitude à accepter les tares des autres – si cette femme-là peut être amie avec notre quadra, ça ne peut pas être pour rien.

Et puis un soir, le troisième ou le quatrième, le sujet qui fâche : le mariage homo (elle dit comme ça). Elle le balance sur la table sans avoir demandé à personne ce qu’on souhaitait boire. Ce sera donc vinaigre pour tous.

Elle, le mariage homo, elle est contre.
Elle ne comprend pas pourquoi la gauche va faire ça, on n’a pas besoin de ça. Elle, elle est pour un pacs amélioré, mais pas de mariage, ça n’a aucun sens. D’ailleurs, ses amis homos pensent comme elle : ils ne comprennent pas cette revendication. Quelle chance elle a, elle connaît un, plusieurs même, de ces fameux homos, rares comme les veaux à deux têtes, qui sont hostiles à l’idée du mariage pour tous. Non pas indifférents, hein : hostiles. Comment ne pas l’envier…

Et ce n’est pas tout. Car c’est vrai, quoi, on ne voit vraiment pas ce que ça ajouterait : on a très bien vécu jusque là, pourquoi changer ? Attention, ici, risque de point Godwin. Se maîtriser, surtout. D’autant que, de son point de vue de pseudo-bourgeoise qui va à la messe et vote à droite pour se donner l’impression qu’elle appartient à une certaine frange de la population, plus friquée et mieux née que d’autres, ce n’est pas faux.
De manière générale, elle a toujours pensé qu’il fallait se méfier du progrès qui va trop vite et qu’on ne maîtrise pas – et d’enchaîner, évidemment, sur internet et sur la science. Il est vrai qu’en matières de droits humains, il vaut mieux y réfléchir à deux fois, au cas où ça irait trop vite.
Elle se méfie de l’idée de progrès, d’ailleurs… Car qu’est-ce que le progrès, au fond, est-ce qu’on progresse vraiment ?

Heureusement, les autres à table, les trois autres à côté de toi, commencent à trouver que ça suffit et ne la laissent pas s’acheminer dans la palpitante réflexion qui s’annonce. Ils contre-attaquent. Ils le font avec plus ou moins d’adresse, mais avec enthousiasme, et tu t’en sens incroyablement réconfortée.
Ils le font surtout avec l’argument des enfants, de la sécurité des familles, et ça ne peut pas marcher, surtout face à quelqu’un comme ça. Ça ne peut pas marcher car c’est un problème largement préalable, c’est juste une question d’égalité, et il n’y a rien, strictement rien d’autre à dire.
D’ailleurs, après avoir décidé de ne pas faire de coming-out spectacle (regret, a posteriori), tu le lui dis.

Elle comprend très bien ce que tu racontes, l’idée que c’est seulement ce qu’on pense réellement de l’homosexualité qui induit tout le reste. Et répond. Elle a même changé de ton.
Elle, elle ne sait pas ce que c’est l’homosexualité… Progrès !! Ce ton humble, préoccupé, qu’elle a enfin pris… Enfin, peut-être autre chose qu’un jugement à l’emporte-pièce. Ce serait donc possible, faire réfléchir les gens ?!!

Elle ne sait pas ce que c’est : si c’est une maladie, ou si c’est un choix, ni si l’on y peut quelque chose…
En fait, non…

À suivre : la Tiède.


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